Platonov

© Jean-Louis Fernandez

Les Possédés sont méritants, nous présentant Platonov dans toute sa longueur. Il y a certes des aménagements – on pense à la disparition de Venguerovitch père ou encore au changement de sexe de Pétrine – mais ceux-ci sont compréhensibles voire peu répréhensibles, y compris pour les plus puristes du texte-à-suivre-à-la-lettre. Il y a tout de même, et plus gravement, une phrase oubliée – à moins qu’elle n’ait été rendue inaudible –, une phrase-clé qui, si l’on joue un peu sur les mots, traduit sans doute l’état d’esprit du spectateur à l’issue de la représentation : « J’ai mal à Platonov. » Le Collectif dont on connaît les qualités de jeu et de mise en jeu ne parvient pas ici à nous faire entrer dans l’œuvre ou, du moins, pas de la manière la plus souhaitable puisqu’il nous donne l’envie de rejoindre le clan des ennuyés que Tchekhov aime à peindre, tant leur Platonov est plat.

La raison en est simple : rien ne passe sur scène excepté le temps, et de façon bien lente encore, parce qu’il n’y a pas de ligne directrice claire, pas de lecture personnelle et de point de vue forts ; on ne sait pas où tout cela nous mène et l’on serait bien en peine de caractériser le tempérament d’un seul personnage. Il y avait pourtant beaucoup à dire et à faire avec cette grandiloquence des discours et le cocasse des situations dénoncés par les personnages eux-mêmes et pour les Possédés surtout, qui avaient su nous enchanter avec Merlin ou la terre dévastée et qui, dans une moindre mesure, avaient offert avec Tout mon amour, des trouvailles scénographiques intéressantes, pétillantes même. L’utilisation de la scène qui favorise ici des surgissements n’y fait rien ; si la deuxième partie trouve un meilleur rythme et davantage de cohérence, il semble que ce soit davantage dû au resserrement du texte qu’au travail de mise en scène et de direction des acteurs.

Le jeu des comédiens accentue la mauvaise pente de ce défaut de lignes de force. Il semble particulièrement flottant dans le regard et dans le ton. Les comédiens ne se regardent pas toujours dans les yeux, ni ne regardent le public, comme s’ils cherchaient un troisième œil… celui d’une caméra pour Emmanuelle Devos ? Le pilotage automatique est trop souvent enclenché. Il y a bien Rodolphe Dana qui incarne Platonov avec beaucoup de naturel et David Clavel, très à l’aise dans le rôle du très alerte Triletski ; il y a encore Christophe Paou en Ossip et Marie-Hélène Roig en Sacha qui sont très justes mais les autres ont un jeu plus désincarné ou, à l’inverse, un peu trop outré à l’image d’Émilie Lafarge en Grekova hystérique. D’autres encore, de façon surprenante, naviguent entre ces extrêmes comme le fait Emmanuelle Devos dont on a du mal à comprendre la transformation (ou le déraillement) en vamp après avoir été la presque trop sage maîtresse de maison du début de la pièce ; on cherchera aussi la cohérence dans son retour à la sobriété diplomatique initiale. Ces changements d’humeurs seraient bien appréciés si le fantasque russe était général et non porté par les seules épaules de David Clavel mais voilà, l’âme slave manque.

Les Possédés nous donnent en effet une version trop aseptisée de la pièce même si l’on sourit parfois, à coups de comique un peu facile : les fausses dents et postiches que porte Christophe Paou pour interpréter Bougrov font toujours leur effet mais cet humour exhibe plus qu’il ne fait oublier les faiblesses de la mise en scène.

La vraie réussite de ce spectacle réside peut-être dans les quelques moments de tension, rendue palpable, entre Platonov et les invités de la générale dans la première partie et, sans doute aucun, dans les intermèdes musicaux à la Johnny Cash qui sont très beaux et permettent de faire oublier ces horribles changements de décors à vue qu’on nous impose de plus en plus au théâtre. Tout cela n’empêche cependant pas l’ennui de s’installer et notre insatisfaction finale de durer.

Le spectacle se joue au Théâtre national de la Colline du 8 janvier au 11 février 2015. Pour les autres dates de la tournée, c’est ici !

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