Richard III

© Brigitte Enguérand / Divergence

Thomas Jolly ne manque pas d’invention ni de facétie. Nous avions pu l’éprouver dans son Henry VI, où la guerre des Deux-Roses prenait des allures d’Interville (je vous parle d’un temps, que les moins de vingt ans, ne peuvent pas connaître…), et l’avons encore constaté avec cette installation, R3m³, qui réussit à nous faire entrer sympathiquement dans l’histoire et l’intrigue de Richard III ainsi que dans l’univers ludique du metteur en scène. Nous n’évoquerons pas même le jeu vidéo inspiré de la pièce (Richard III Attacks !). C’est pourtant une scénographie assez sombre et sobre que nous propose ici le fondateur et directeur artistique de La Piccola Familia. Moins de cette folie et de ce fantasque dont il nous avait accoutumés donc et qui semblaient nuire au tragique et au sublime dans Henry VI, mais las, pas beaucoup plus d’intensité en retour dans cet opus-ci, finalement.

Le sobriété est en effet trop scolaire dans ce Richard III ; même si l’élève Jolly est par bien des aspects brillant, il ne semble à nouveau que nous jeter de la poudre aux yeux, s’arrêtant à la surface et à l’évidence du texte au lieu d’en interroger, en profondeur, l’essence. L’aspect didactique le plus frappant se lit sans doute dans ce chapitrage sur-hugolien de la pièce qui aboutit à l’établissement d’une authentique table des matières peu avant que le mot fin ne vienne signifier aux spectateurs que le spectacle est terminé. Des sortes de panneaux balises tombent en effet du ciel, au fil des scènes, comme des sous-titres qui rythment et résument l’argument de la tragédie – dans un procédé équivalent, Victor Hugo se contentait, lui, d’en donner les thèmes ou personnages clés (cf. Hernani ou Ruy Blas). Ces cartons seront ensuite tous rappelés en guise de clôture de la pièce… comme si le spectateur, à l’instar de ce qui se fait sur Facebook ou les émissions de télé-réalité, avait constamment besoin du commentaire de ce qu’il pourrait pourtant « apprécier » de façon tout à fait autonome. Le jeu des acteurs ne pouvait-il donc à lui seul rendre mémorables les actions importantes pour nous dispenser de ce récapitulatif final ? Il faut craindre que non… nous y reviendrons.

Le didactisme de Jolly se retrouve également dans les références à sa précédente mise en scène, celle de Henry VI, via des captations cinématographiques. Ces citations en images noir-et-blanc-du-souvenir sont assez bien vues qui retracent l’épopée shakespearienne et font, dans le même temps, de savants clins d’yeux aux spectateurs de la première heure du travail de Jolly et de La Piccola Familia qui s’en trouve comme agrandie, mais, trop démonstratives, elles ne laissent que peu de place à l’imagination. Pour le rappel des drames qui ont émaillé les règnes précédant celui de Richard III (Thomas Jolly), on leur préfère nettement les tableaux familiaux grand format que regardera avec désarroi et nostalgie la mère du protagoniste, la duchesse d’York (Anne Dupuis). S’ils nous paraissent plus saisissants et pertinents, c’est peut-être qu’ils sortent de l’ordinaire, l’écran ayant aujourd’hui supplanté la « toile », ou qu’ils laissent se développer, justement, par leur fixité, l’imaginaire ; on pense ici à l’effet produit par la scène des portraits dans Hernani.

Le didactique est enfin, dans les détails, plus implicite. Richard III est l’une des tragédies de Shakespeare les plus évidemment sombres sinon la plus sombre malgré la concurrence de Titus Andronicus. Thomas Jolly croit donc bon de nous offrir un très beau camaïeu de noirs qui se superposent magnifiquement pour dire l’abîme et le côté ô combien obscur du héros éponyme même si c’est son frère, Édouard IV (Damien Gabriac), qui reprendra la parole essoufflée d’un certain Dark Vador… Toute cette obscurité est rendue superbe par la délicatesse de ses nuances mais reste toutefois problématique sinon contre-productive : elle nimbe et enveloppe tout et tous au point que celui qui l’incarne, le personnage central de la pièce tout de même, ne ressort pas suffisamment et est tenu de se vêtir d’un blanc paradoxal, plus clinquant que parlant.

Hors ce didactisme de mauvais aloi, il y a heureusement quelques belles trouvailles scénographiques comme cette prison où se trouve Clarence (Damien Avice) : ses barreaux lumineux – dans tous les sens du terme -, s’éteignant et s’allumant au gré des tours de clé, touchent par leur poésie et leur finesse ; c’est aussi le cas de ces exécutions au lance-couleur qui projette du rouge sur les condamnés. La technique, qui avait pu nous impressionner dans Henri VI, perd cependant de sa superbe ici et semble même éteinte (on comprend mal, par exemple, les interventions des caméras avec lesquelles Richard III fait mumuse) sans que cela propulse pour autant les comédiens sur le devant de la scène. La sobriété évoquée plus haut ne conduit pas, en effet, à un regain d’émotion et d’intensité, les acteurs s’enfermant, pour beaucoup, dans une trop grande théâtralité. Celle-ci, portée par l’énergie furibarde et comique de la rhapsode, de Jeanne d’Arc et bien d’autres, passait bien dans Henry VI ; ce n’est pas le cas ici parce qu’elle n’y est pas véritablement assumée et que le drame est ici bien trop présent – au point que l’une des rares séquences comiques, i.e. le meurtre de Clarence, détonne trop pour ne pas tomber à plat à l’instar de ce passage chanté au moment du couronnement de Richard – et nécessitait davantage de retenue dans le jeu. Or celui-ci est très souvent affecté et principalement chez Thomas Jolly qui incarne le rôle titre, un personnage quasi omniprésent, ce qui n’est pas sans conséquence sur le spectacle. On ne croit ainsi pas que Lady Anne puisse passer du crêpe endeuillé au voile de la mariée en écoutant la déclaration d’amour de Richard alors même que cela semblait plus naturel et crédible dans Kings of War d’Ivo van Hove. Rares sont en effet les moments où Thomas Jolly atteint une forme d’authenticité et de vérité touchante comme lors de la perte du nouveau-né (mais alors, il ne parle pas…). Les seuls comédiens à tirer leur épingle du jeu sont finalement Damien Avice pour sa générosité et les enfants dont la diction est admirable.

Malgré les nombreuses réserves émises, ce Richard III n’est pas sans qualité. Le rythme est bon et jamais l’ennui ne nous gagne… Et s’il n’enrichit pas le texte de Shakespeare ni ne le revisite assez, comme on pouvait s’y attendre avec Thomas Jolly, il ne le trahit pas, ce qui n’est déjà pas rien. Mais voilà, on aime à entendre au théâtre autre chose que ce qu’on parvient à comprendre à la simple lecture d’une pièce et ici, l’impression du convenu persiste et signe.

© Brigitte Enguérand
Le spectacle se joue à l’Odéon – Théâtre de l’Europe du 6 janvier au 13 février 2016. Pour les dates de la tournée, c’est ici !

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