© Brigitte Enguerand / Divergence
Disons-le tout de suite : la mise en scène de Daniel San Pedro est peu convaincante et surtout peu palpitante au vu du sujet de la pièce et de son titre, si exotique, vu de France.
Sur scène, rien d’étranger, rien de nous ; pas de sortie de soi, ni d’introspection, ni de réelle identification. Le jeu des comédiens y est pour beaucoup. Audrey Bonnet, qui incarne Yerma, a un ton affecté, parle souvent et inutilement trop haut ; elle ne suscite l’empathie qu’aux rares moments où son jeu s’intériorise et sa folie l’échevelle. Les autres comédiens, quant à eux, ne semblent que de passage ; leur rôle est rendu secondaire et leur prestation seconde. On aurait aimé, par exemple, que la belle partition du personnage interprété par Aymeline Alix – une femme à contre-courant qui ne veut pas d’enfant et se moque du mariage et de tout son tralala – soit un temps fort, remuant, interrogeant. Or le jeu de la comédienne est désincarné voire récité et la provocation dans le texte est absente de la scène.
Même quand le texte se fait poétique ou chanson pour filer la tradition pastorale, les comédiens-bergers ne parviennent pas à nous embarquer dans un ailleurs. Quelques faussetés sans doute mais principalement un manque de souffle et d’entrain pour nous communiquer du beau. À aucun moment l’illusion théâtrale ne nous arrache à nos sièges ni ne nous transporte dans cette campagne restituée plutôt finement pourtant avec ses différents rituels : ablutions quotidiennes, récolte de la laine, veille constante – des femmes en particulier – et cancans permanents des villageois. La faute aussi, sans doute, à cette habitation sise au milieu de la scène qui ne semble faite que de portes tout en ayant des contours flous. La symbolique est limpide mais peut-être trop pour éviter l’écueil de l’artificiel.
Cet artificiel s’invite également dans l’usage qui est fait de la vidéo. Celle-ci, loin de redynamiser une scène quelque peu morte, la répète ou l’anticipe. Elle ne fait que redire la ruralité bien présente sur scène, ne fait que redire le temps qui passe – des bandeaux suivent ces passages filmés et indique le temps passé, les personnages égrènent également à haute voix cette fuite du temps - mais ne redit pas avec force la poésie, même intermittente, du texte : l’image n’est ni belle, ni fascinante, ni hypnotique ; elle n’est qu’illustrative voire ringarde.
Face à cette mise en scène, on se sent coupable d’attendre autre chose que cette souffrance d’une femme qui n’enfante pas, on se sent coupable d’attendre le « vrai » drame, la montée en tension et en puissance qui doit nécessairement succéder à cette absence de relief que ne pallient pas les noirs entre deux scènes ou la pénombre de laquelle on n’ose nous retirer, des moyens souvent efficaces pour dramatiser – merci, on connaît Pommerat ! -. Mais cette montée tarde et les applaudissements timides et le noir – ceux de la fin – la devancent car ni le metteur en scène, ni les comédiens n’ont su donner du corps et de l’âme au texte de Federico García Lorca.