Comme une pierre qui…

marie rémond - comme une pierre qui - simon gosselin 7

© Simon Gosselin

C’est dans l’ensemble une heure bien sympathique que l’on passe avec les comédiens du Français et d’ailleurs. Ceux-ci revisitent en effet, avec maestria et dans une belle énergie, une page de l’histoire musicale en nous faisant revivre, en « live », l’enregistrement de « Like a Rolling Stone », une chanson culte de Bob Dylan. Les metteurs en scène, Marie Rémond et Sébastien Pouderoux, posent malicieusement, à travers cette création théâtrale inspirée du livre de Greil Marcus (Like a Rolling Stone, Bob Dylan à la croisée des chemins), une question intéressante, celle de la création justement, celle de la manière dont une œuvre d’art prend forme. Las, Comme une pierre qui tombe…, cette mise en abyme en forme d’ekphrasis, n’y répond pas de façon à combler tout à fait nos attentes. Tâchant de coller au plus près à la vérité historique, la création théâtrale s’oublie en effet au profit de la seule récréation musicale.

Quand le producteur Tom Wilson (Gilles David) demande aux musiciens : « Où on va ? « , il ôte les mots de la bouche aux spectateurs ou, du moins, lit-il dans leurs pensées – un spectateur ne parle évidemment jamais au théâtre. Le work in progress n’est certes pas dénué d’intérêt d’autant que tout est fait pour que l’on s’y croie – jusqu’à la reconstitution d’une régie d’où le producteur pilote plus ou moins ses musiciens – mais le temps s’étire dans cette succession de tentatives avortées de produire, dans une belle harmonie, de la musique et si l’humour ne fait pas défaut, le rythme de la pièce s’en ressent et la tension, surtout, manque terriblement. Ces essais musicaux incessamment non transformés nous font effectivement perdre de vue l’objectif, le point d’arrivée, ce « Like a Rolling Stone ». L’instant magique auquel nous sommes censés assister, la naissance d’un tube, n’est par ailleurs pas suffisamment mis en perspective malgré les apartés ménagés pour donner du relief à ce qui se passe ou passera. Ces apartés ne creusent effectivement pas assez les personnages ni ne créent de réelle connivence avec le public ; ils apparaissent dès lors quelque peu artificiels. Nous sommes donc bien loin ici de l’utilisation judicieuse et savoureuse qu’en avait fait la Compagnie Eulalie, dans un dispositif similaire, dans Le jour de l’Italienne où les comédiens, répétant une mise en scène, celle de L’épreuve de Marivaux, se livrent et se découvrent dans cette parole parallèle et solitaire qu’est l’aparté et nouent, chacun, tour à tour, malgré leurs intérêts divergents, une belle complicité avec le public.

La musique prend peut-être, de façon tout à fait paradoxale, trop de place dans ce spectacle. On connaît la chanson, comme on dit… on aurait dès lors aimé connaître davantage les musiciens. L’histoire de « Like a Rolling Stone » est somme toute chaotique, ubuesque, extraordinaire mais assurément moins passionnante que l’humanité des protagonistes qui l’ont forgée. Les personnages gagnaient ainsi à être davantage traités dans la profondeur et non seulement cantonnés dans le registre de la légèreté teintée d’humour. On a ainsi pu apprécier et être soufflé même lorsque Bob Dylan (Sébastien Poudouroux) s’est lancé, en anglais, dans un soliloque à la Lucky qui n’avait finalement pas besoin d’être traduit pour toucher et faire sensation. La poésie qui s’est dite alors a fait bien plus impression que les froides projections dans l’avenir jetées en aparté pour donner les circonstances de la séparation d’untel, de l’éviction de tel autre ou de la mort de tel autre encore.

La superficialité du traitement des personnages fait que l’on n’oublie pas les comédiens derrière eux, des comédiens qui pour le coup nous épatent par leur capacité à être aussi bons acteurs que musiciens. Stéphane Varupenne (Mike Bloomfield), Sébastien Pouderoux, Gabriel Tur (Bobby Gregg) et Christophe Montenez (Al Kooper) sont remarquables à cet égard et Hugues Duchêne (Paul Griffin) n’est pas très loin non plus.

Bref, on papillonne ne sachant pas trop où notre regard doit se poser face à cette création théâtrale qui se veut sans doute trop documentaire et réaliste et perd de vue que la fiction permet heureusement de réinventer le monde, légendes comprises, pour lui donner un sens. Quand le Studio–Théâtre se fait ainsi studio d’enregistrement, il perd un mot essentiel qui en recouvre un autre, très important : l’invention.

Le spectacle se joue au Studio–Théâtre de La Comédie-Française du 15 septembre au 25 octobre 2015.

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